Bonneville

La chapelle du domaine de Bonneville

UNE PETITE COMMUNE RURALE DE SOLOGNE
PENDANT LA RÉVOLUTION (1792-1805)

Par M. Raoul de la GIRAUDIÈRE
Membre de la section d’agriculture

Beaucoup d’agglomérations rurales de peu d’importance avaient autrefois, en tant que paroisses, leur existence propre. Au curé incombait la charge d’inscrire les baptêmes, les mariages et les décès survenus parmi ses ouailles. À la Révolution, les paroisses devinrent des communes ; les plus petites, d’une durée éphémère, sont aujourd’hui des hameaux rattachés administrativement au centre voisin. Tel est le cas de l’ancienne commune de Bonneville, dont je me propose de vous retracer brièvement la vie municipale depuis son origine en l’année 1792 jusqu’à sa disparition
en 1805.
Quelles étaient son étendue, sa population, ses ressources ?
Une infraction à l’ordre chronologique, nous permettra de puiser ces renseignements nécessaires dans un tableau statistique du 21 messidor an X. La population, de 100 habitants pour 31 feux, ne comprend que 19 individus ne sachant ni lire ni écrire.
La commune s’étend sur 320 arpents (150 hectares environ), ainsi répartis :
Prairies 6 —•
Chanvre 1 —
Bois taillis …. 10 —
Etangs 3 —
Friches, landes, bruyères 200 —
à peu près les deux tiers du total, en sable pur. Il n’y a ni vigne, ni jardin, ni marais. Pas de militaire pris par la conscription, en cette année-là. Aucun domestique attaché à la personne. Il y a un propriétaire foncier, et, les deux extrêmes se touchent, un mendiant autorisé à résidence par le sous-préfet. Par apparence, le nombre des hommes mariés est de 21. Pas d’école primaire, ni d’instituteur. La nourriture habituelle du peuple est le seigle et surtout le sarrasin ou blé noir. Le prix de la journée de travail, repas non fournis, est pour les hommes en été de une livre et en hiver de quinze sous. Les femmes sont payées douze ou quinze sous par jour suivant la saison. Il y a 10 chevaux et 24 boeufs de labour pour 6 charrues seulement. Enfin le bétail comprend 36 vaches, 20 porcs et 960 moutons qui, pâturant dans les 200 arpents de bruyère, semblent constituer le produit le plus important. Voilà rapidement esquissée la silhouette de la petite paroisse qui se constitue en commune le 8 décembre 1792. Les citoyens, assemblés au son de la cloche « à cette fin que personne n’en prétende cause d’ignorance », nomment un maire, un procureur de la commune, deux officiers municipaux, cinq notables, un officier public, un secrétaire greffier pour tenir le registre des délibérations; en tout onze administrateurs, c’est-à-dire plus d’un pour dix habitants. Le premier procès-verbal, du 28 janvier 1793, est la constatation du délit forestier commis par un citoyen de la commune de Saint-Cyr-Semblecy (1), qui a abattu « un chêne portant par le pied d’écorce en écorce » un diamètre de 19 pouces (environ 1 mètre 70 centimètres de circonférence). Ce citoyen aimait les beaux arbres. L’ordre des dates n’est pas toujours respecté. C’est ainsi que le procès-verbal suivant; qui relate la publication des trois rôles de 1792, est inscrit le 27 janvier. Le 12 mars est tombé au sort Pierre Thomas :« Ayant le citoyen Pierre Thomas 5 pieds et 2 pouces de grandeur, bien fait, bonne mine, cheveux châtains, le sourcil des yeux blond, nez gros, bouche haute et menton rond, pèche des dents de devant », illettré sans doute ; l’engagement est signé d’une croix. A ce moment, les moines de tout ordre, chassés de leurs monastères, se dispersent aux quatre coins de la France, en quête d’un lieu d’asile. Le 14 avril 1793, la citoyenne Hurault (damoiselle Hurault de Saint-Denis, née Louvel) déclare loger chez elle la citoyenne Louise-Françoise Louvel, ex-religieuse, et la citoyenne Geneviève-Marguerite Simonel, ex-soeur converse, toutes deux de la ci-devant abbaye de Pontaux-Dames, en Brie, département de Meaux. Ces deux citoyennes, le 14 mai, font serment devant la municipalité « d’être fidèles à la Nation, et de maintenir la liberté et l’égalité, ou de mourir en la défendant. »
(1) Saint-Cyr-Semblacy est aujourd’hui un hameau rattaché à l’ancienne Ferté-Hubert, devenue la Ferté-Saint-Cyr.

Une chose m’a frappé dans les pages qui vont suivre : il n’est question nulle part de « fraternité ». Les feuillets suivants sont relatifs à la nomination de deux commissaires vérificateurs pour la commune, d’un commissaire du district « à l’effet de procéder au recensement des blés, seigles, orges, sarrasins, avoines et farines », et des 20 votants pour les assemblées primaires. Entre temps, le 26 juin, la municipalité se rend chez le citoyen Delmotte, curé, pour lui retirer les registres de baptêmes, mariages et sépultures. Les réquisitions vont dès maintenant se faire à intervalles rapprochés. Dans la réquisition de 2,000 couvertures de laine à fournir par le district, la commune est taxée à deux, prises chez la citoyenne Hurault. Le 26 brumaire an II, les officiers municipaux du canton de Chaumont sont requis d’envoyer le jeudi 28 novembre les citoyens de la première classe, pour être organisés en compagnie, et ensuite renvoyés dans leurs foyers jusqu’à nouvel ordre. Afin de remédier au défaut de subsistance, ils recommanderont à chacun d’eux d’apporter du pain pour le temps de leur organisation, qui sera de deux jours, non compris l’arrivée et le retour. La délibération du 6 décembre est la réponse à une réquisition du district de Romorantin par lettre en date du 12 frimaire. Les citoyens de la commune, conformément à la teneur de cette lettre, ont été réunis au son de la cloche : « N’avons aucune personne bien vêtue et bien chaussée, enfin n’avons aucune bonne chaussure que ce puisse être que des sabots seulement. De plus n’avons point de fusils de calibre, sauf quatre, méchants (1) chetis (2) fusils de chasse, étant en mauvaise qualité, les batteries n’ayant pas été raccommodées vu la rareté d’ouvriers. » Dans les lignes qui suivent perce la crainte d’être taxés de mauvais citoyens, chose particulièrement grave à l’époque : « Quoi qu’il en soit, nous nous conformons toujours aux lois. » La récolte de grains ayant été déficitaire, les administrateurs de Mer envoient à la commune en quatre livraisons onze cents livres de blé froment. Le 25 frimaire, le citoyen François Bigot, huissier à Romorantin, délégué à cet effet par le district, retire au citoyen Nicolas Delmotte, prêtre curé de cette commune, « toutes et chacune les lettres concernant l’état ecclésiastique qu’a toujours professé ledit citoyen Delmotte en bon et fidèle pasteur. » Ces papiers sont remis au citoyen Bigot pour être brûlés -en présence de tous les frères de la Société populaire de Romorantin, dont il est membre.
Le 19 novembre, la municipalité nomme commissaires vérificateurs de l’emprunt forcé un laboureur et un fabricant de cercles ; ce sont deux notables de la commune. Sur la déclaration faite par la citoyenne Hurault, qu’elle possède 3,788 livres 14 sols 5 deniers de revenu, elle est taxée à 2,335 livres 14 sols 5 deniers(presque les deux tiers), en sorte qu’il ne lui restera plus que 1,453 livres. C’est vraiment un sujet de graves et nombreuses
préoccupations pour une commune de posséder une ci-devant noble sur son territoire.
(1) Méchants veut dire mauvais.
(2) Chetis est une corruption dé chétifs ; il signifie ici sans valeur.

Le 30 frimaire, le Conseil municipal se réunit pour faire brûler toutes les pièces et titres féodaux de la citoyenne Hurault. Le même jour, il nomme un agent national pour l’exécution des lois ; celui-ci devra rendre compte au district tous les dix jours. La délibération suivante est sans doute la réponse à une demande de recensement des chevaux et fourrages. Il n’y a que huit chevaux dans la commune, tous employés à la culture des terres. « Quant aux foins, pailles et avoines, les particuliers se sont plaints qu’ils n’ont pas de ces sortes de choses pour leur usage. Quant aux trèfles et luzernes, nous sommes surpris de notre demande, car nos sortes de terrain n’en produisent point. Nous n’avons pas de son, car on ne fait pas de farine. »
Le 15 pluviôse, le Conseil général de la commune, comprenant tous les habitants, se réunit pour procéder à l’état des cotes d’habitation pour la contribution mobilière ». Le rôle comprend 20 articles pour 86 habitants; il y a donc 4,3 habitants par maison, ce qui n’indique pas des familles nombreuses. Une seule fait exception, celle d’un fermier, qui a cinq enfants à ses charges. Du 21 pluviôse, un état de recensement des grains existant à cette date dans la commune : 49 boisseaux de blé seigle, 3 boisseaux d’orge, 440 boisseaux de blé noir (mesure de Beaugency ) ; le tout réparti entre sept cultivateurs. Le folio suivant renferme le contrat de mariage de François Bousillard et de Madeleine Pinçon. C’est un gros mariage ; les parents des futurs époux sont de fermiers ; à l’époque on disait des laboureurs. À noter ensuite des apports stipulés des deux côtés, la déclaration que voici : « Les parties, de leur bon gré et franche et libre volonté, ont reconnu et confessé qu’ils se sont promis et se promettent respectivement l’un à l’autre par bonne foi et sacrement de mariage en face de notre mère la, Sainte Eglise catholique, apostolique et romaine, les cérémonies ordinaires préalablement gardées et observées… » Nous sommes en 1793, et cette convention, faite en vue du mariage projeté, établit clairement que les traditions religieuses sont restées vivaces.
Le 23 pluviôse, le citoyen Marie, commissaire des assemblées primaires du canton de Chaumont « pour faire l’épuration des fonctionnaires publics et des curés », reçoit des citoyens assemblés la déclaration unanime qu’ils en sont contents et les reconnaissent « pour de bons patriotes et de vrais républicains ».
Le 24 ventôse, il est fait réquisition de toiles à sac et de fils. On a trouvé chez la citoyenne Saint-Denis (alias Hurault) 26 aunes de toile écrue, et 47 livres de fil en trois maisons.
Le 16 germinal,- la municipalité se réunit pour enlever tous les ornements de l’église. Rien n’est omis dans l’inventaire. Avec les aubes, les chasubles, les linges d’autel, la croix et le soleil, c’est-à-dire l’ostensoir, nous trouvons « les effets de la Sainte Vierge, à savoir deux cols, deux coiffures, cinq robes et un petit tablier », ainsi que l’assiette pour quêter, et diverses autres choses encore. « Le tout faisant ensemble la pesanteur de 214 livres. » Ceci pourra paraître une singulière estimation. La municipalité remplit à l’occasion l’office de notaire, et voilà un bail qui aurait pu nous fournir des
indications sur la valeur locative des terrains, s’il était fait mention de l’étendue affermée. Jacques Pinçon, laboureur de la métairie de la Rue, loue à Jean Charrier la locature de l’Aunay, moyennant 50 livres en argent, 6 livres de chanvre femelle, 6 livres de beurre, 6 poulets. Il y a deux vaches de cheptel estimées 120 livres les deux. (Un veau de grosseur et de qualité bien ordinaire se vend aujourd’hui un prix plus élevé). Cherrier s’engage à faucher les prés de Pinçon à raison de 30 sous par journal (4 fr. 50 l’hectare) et à travailler pour celui-ci à toute réquisition au prix courant du pays.
Le 1er floréal, deux citoyens commissaires, nommés par le district, viennent pour marquer les chênes propres aux constructions navales. « Il ne s’en trouve aucun bon et valable. » Huit jours après, nouvelle visite des agents -du district. Le citoyen Marie, que nous avons déjà vu, commissaire des assemblées primaires, assisté de Jean Dalançon son collègue, nommés par le district, en vertu de l’arrêt de « Garnier-Des|saint) » (1), représentant du peuple, « à l’effet de l’épuration et examen des corps constitués et fonctionnaires publics », font assembler tous les citoyens de l’a commune dans le temple de la Raison. Ceux-ci ont tous répondu qu’ils reconnaissent les citoyens en charge comme de bons patriotes et de mœurs vertueuses. Le texte nous montre l’embarras du secrétaire greffier, lorsqu’il s’agit de transcrire le nom du représentant Garnier-Dessaint. Puisque, avec Dieu, tous les saints sont supprimés, le mot saint est écrit entre parenthèses.

(1) Il est probable qu’il est ici question de Gamier, député de la Charente-Inférieure, originaire de Saintes, et le texte eût dû porter Garnier (dit Saintes), comme l’on disait Dupont (de Teuire).

Le 20 floréal, il est fait un état des chevaux. Il y en a neuf, répartis en trois fermes. Si l’on a supprimé Dieu et ses saints, on n’a pas encore supprimé la mort et par suite le cimetière. Le 6 prairial, convention est faite avec Simon Tessier qu’il aura le foin du cimetière, à charge par lui de sonner le réveil et le repos. Ce ne sera plus pour l’Angélus que les cloches seront mises en branle, mais leurs voix amies, tantôt gaies, tantôt majestueuses, tantôt plaintives, toujours vibrantes, continueront ainsi, comme par le passé, de régler les habitudes journalières.
Un acte du 16 prairial n’a d’autre intérêt que de signaler le manque d’instruction du maire et du procureur de la commune, qui « ont déclaré ne savoir signer, de ce requis. » Le 26 du même mois, le citoyen Ribriou, marchand à la Ferté-Hubert, présenté un certificat du district, l’autorisant à acheter 25,000 livres de laine, à charge par lui d’en payer le montant à chaque particulier et de les recéder à cinq fabricants de Romorantin, désignés nommément. On lui accorde les 371 toisons portées au recensement. Ainsi, à part le prix de vente, et encore n’en va-t-il pas toujours de même, aucune liberté dans les transactions. Acheteurs, vendeurs, nature des marchandises, quantité à livrer, tout est réglé d’en haut et par le détail. De minimis… curât proeior.
Il faut croire que la région de Sologne où se trouve notre-commune n’était pas autrement malsaine, puisque sur une population de 86 individus l’état des vieillards du 20 prairial enregistre une nonagénaire (94 ans) et
deux septuagénaires. Je tiens à le faire remarquer. La légende des fièvres, aujourd’hui disparues avec les mauvaises conditions d’hygiène et de nourriture, est si tenace qu’une géographie parue dans ces dernières années signalait encore ce coin de France comme un pays de fièvres. L’auteur ajoutait, plus loin, comme un des produits, la pêche des sangsues. Je ne sais plus quel humoriste citait, parmi les professions imaginaires ou bizarres, la fabrication des chapeaux en poils de sangsues. Sans doute notre pince-sans-rire y songeait-il en faisant sa description de la Sologne. Mais revenons à notre registre. Un procès-verbal en date du 27 prairial établit les charges de la municipalité : Pour le lieu ordinaire de ses séances….. 15 livres.
Pour les appointements du secrétaire greffier 72 —
Pour le bois, le papier et la lumière…. 12 —
Pour la perception du receveur de la contribution foncière ; 15 —
Pour les sous additionnels et frais divers. 66 —
Au total 1801ivres.
Je ne sais, n’ayant pas sous les yeux d’élément de comparaison, si la somme était, pour l’époque, de petite ou de grande importance; mais je ne vois pas bien qu’une commune, si minime soit-elle, puisse suffire actuellement aux mêmes besoins avec un chiffre trois ou quatre fois supérieur. Et pourtant nous verrons dans la suite que c’était encore une charge trop lourde, eu égard aux ressources. Les budgets se solderont en déficit. Le 25 prairial, après )a visite des chevaux, il est mentionné qu’il ne s’en trouve pas de taille requise. L’état est retourné en blanc au district. À la même date, sont nommés en qualité d’arbitres pour l’estimation des fusils, deux notables de la commune. Les armes sont différenciées et appréciées d’après la longueur des canons, qui varie de 2 pieds 6 pouces (environ 83 centimètres) à 3 pieds 10 pouces (1,27m). Nous trouvons chez la citoyenne Anne-Françoise Louvel-Hurault deux fusils estimés l’un 10 livres, l’autre 6, et deux pistolets estimés ensemble 6 livres ; ailleurs, un autre fusil estimé 6 livres. Ces armes seront déposées dans la chambre municipale. Le 1er messidor, le citoyen Maurice, officier public, prend en charge le registre des actes de naissance, mariage et décès. Quelques jours plus tard, le 5 messidor, il est délivré au citoyen Jean Simon, natif de la commune, âgé de 72 ans, « un certificat pour lui servir et valoir au lieu d’extrait de baptême, les registres de naissance étant égarés ». C’est bien l’Omnia mixta de Tacite, époque troublée où tout est chaos. Combien d’archives ont disparu qui eussent contribué grandement à nous faire connaître les histoires locales ! À la même date arrive, par la voie du district, la liste des émigrés. Il n’y a personne de la commune. Le 18 messidor, conformément à l’arrêté du département, le Conseil général de la commune, c’est-à-dire tous les habitants assemblés, décide que, « à compter d’aujourd’hui et jours suivants, on commencera à faire la récolte des
seigles ».
Observons en passant que, à l’aurore de la liberté, il n’est pas laissé grande place à l’initiative individuelle. Confirmation immédiate ; le sieur Pigeon présente une commission à l’effet de requérir tous les chanvres de la commune. Suit un état des grains au 20 thermidor par boisseaux de Romorantin. Nous avons vu précédemment le boisseau de Beaugency ; plus lard nous verrons celui de Bracieux. Il y avait presque autant de mesures différentes qu’il y avait de marchés importants.
Seigle : 1,198 boisseaux, dont 619 pour semence.
Orge : 185 boisseaux, dont 55 pour semence.
Grain non battu : Seigle : 1,648 gerbes— : Orge : 380 gerbes
Le 10 fructidor, adjudication de « la ionture d’une journée de pré de la ci-devant fabrique » pour la somme de 9 livres 10 sous. Une page subséquente, en l’an X, nous donne la valeur certifiée des mesures de superficie.
L’arpent vaut 1.600 toises.
La hoisselée ,… . 200 —
La seplréc. 2.400 —
La journée de pré 800 —-
La municipalité envoie à Romorantin, pour la 3e fois, dit le procès-verbal, le tableau des chevaux et juments. Nous voici arrivés à la fin de l’an II. Le 21 fructidor, le citoyen Maurice, l’officier public en charge, donne sa démission. Il est pourvu à son remplacement au scrutin « à la pluralité absolue des suffrages ». Acte est donné au démissionnaire de la remise des registres de l’état-civil. À partir de ce moment, jusqu’au 15 pluviôse an IX, il n’y aura plus après les procès-verbaux des séances que la signature du greffier ou des agents du district envoyés en mission. « La municipalité déclare ne pas savoir signer de ce requise ». Le 10 vendémiaire an III, nouveau recensement des grains, évalués cette .fois en boisseaux, mesure de Bracieux.
Seigle : 364 boisseaux.
Orge : 70 boisseaux.
Blé noir : 888 boisseaux.Il ne faut pas s’étonner de la proportion considérable de ce dernier grain, dont la culture est aujourd’hui si délaissée. Nous savons qu’il concourait alors, pour une large part, dans l’alimentation des habitants. Les routes étant peu sûres et les denrées taxées, les centres s’approvisionnaient mal. Il fallait les ordres donnés aux cultivateurs, par l’intermédiaire de la municipalité, pour les contraindre à porter leur grain sur tel ou tel marché de la région. Ceci n’allait pas toujours sans heurts et sans froissements. Même sous l’empire de la crainte, la patience humaine a des bornes. « Ce jourd’hui 15 vendémiaire de la troisième année républicaine une et indivisible (sic), à,trois heures du soir, moi Jean Simon, maire, je me suis transporté chez le citoyen Louis Maurice, laboureur à la métairie de Bonnette, pour le prévenir de fournir te contingent qui lui est assigné pour l’approvisionnement du marché de Bracieux. « Ledit Maurice m’a répondu, .avec plusieurs paroles injurieuses pour la municipalité, qu’ils étaient tous des sacrées bêtes, qu’il ne voulait point donner de grain, que, le premier qui viendrait lui en demander, il avait encore deux coups de poudre pour le satisfaire. » Un point, c’est tout, avec la signature de l’agent national. Le citoyen Maurice, le réquisitionné dont il est ici question, n’est autre que l’officier public précédemment démissionnaire. Qu’allait-t–il lui arriver pour cette incartade ? En vain ai-je cherché, je n’ai pas trouvé trace de sanction. Mais quel triste retour à domicile pour ce pauvre maire Jean Simon ! Ce bon septuagénaire avait dû se promettre quelque plaisir à visiter par une riante fin de journée du mois d’octobre un de ses gros administrés. Reçu avec des injures et des menaces, il est suffoqué d’indignation. Le 30 vendémiaire, encore un recensement des chevaux. Il y a trois chevaux mâles (sic), 3 juments, un poulain. Deux jours auparavant, le 28 vendémiaire, la location du presbytère est mise en adjudication pour une année au plus offrant.et dernier enchérisseur. Après plusieurs enchères, Louis Amiot reste adjudicataire pour la somme de 232 livres, « à charge par lui d’entretenir les vitres et les carreaux, tailler les arbres fruitiers et la haie d’orpin (1) de la cour ; ne pas laisser paître de bestiaux dans la cour et le jardin, sous peine de répondre des dommages. » L’adjudication est consentie en outre avec réserve de la chambre haute et du cabinet y attenant pour faire une chambre municipale. Les cultivateurs s’abstiennent de plus en plus de fréquenter les marchés ; les approvisionnements en denrées de toute sorte, notamment en grains, s’y font rares. Aussi voyons-nous arriver un commissaire du district, Auguste-François Gervaise. Il vient s’enquérir des marelles où les citoyens de la communs avaient coutume antérieurement de livrer leurs grains. Les trois quarts allaient à Bracieux ; les autres, à Beaugency. Presque aussitôt, le 4 brumaire, le citoyen Dalançon est requis d’aller porter le lendemain, 5 brumaire, au marché de Bracieux 12 poulets et 9 livres de beurre frais;
le citoyen Amiot devra porter 9 poulets.

(1) Onp.in est un vieux mot qui désigne l’aubépine.

Suivent des tableaux de statistiques :
Recensement par maison du foin et de la paille, donnant comme total pour, la commune 418 quintaux (1) de foin et 98 quintaux de paille de seigle. Etat général des boeufs et vaches, fait pour chaque citoyen. Nous y relevons 27 vaches et 24 boeufs. Ces derniers, répartis également entre trois fermes, servaient à la culture des terres. A défaut d’une indication aussi précise, les chênes aux boeufs, les pâtis aux boeufs, dont la dénomination subsiste en quelques endroits, ne nous permettraient pas d’ignorer que ces animaux étaient utilisés jadis en Sologne pour les labours et les charrois. Recensement des terres ensemencées en seigle. La superficie est de 132 minas. La mine, qui est à proprement parler une mesure de capacité équivalant à 78 litres d’aujourd’hui, signifie ici l’étendue de terre labourable ensemencée par une mine de grains, 43 ares environ. D’où, pour la commune, une superficie approximative de 56 hectares cultivée en seigle. Nous voici arrivés à l’époque des assignats. Le prix d’une livre de chandelle passe de une livre à onze livres. Le mémoire des frais de la municipalité pour l’an III atteint le chiffre de 286 livres 18 sous, en augmentation de 106 livres 18 sous sur le budget de l’an II, et encore faut-il remarquer qu’il serait beaucoup plus élevé si une des grosses dépenses, le traitement de l’agent-national, iraait clé payée en « monnaie métallique».

(1) Le quintal est une mesure courante encore maintenant dans nos campagnes ; c’est la quantité de dix bottes de cinq kilos.
Le 20 ventôse, le conseil municipal se réunit pour examiner « la.nécessité des chemins ». La route de Bracieux à Orléans, « fréquentée de toute part, est dans un sincère et véritable besoin d’être raccommodée, ainsi que celle de la Ferté-Avrain à la Ferté-Hubert (1). » Le 23 germinal, publication du rôle de la contribution foncière et de la contribution mobilière. Je ne la signalerai plus ; elle reviendra tous les ans à date fixe, ainsi que le recensement général des grains par les commissaires du district. Le 28 floréal, les fusils et pistolets déposés à la chambre municipale sont rendus à leurs propriétaires. Voici, à la date du 20 fructidor, l’inventaire après décès du citoyen Delailte, défenseur de la patrie. On y voit figurer une biaude (blouse) en coton bleu et une autre en grosse toile ; une culotte de coton « barrée »de rouge et de blanc, une autre en droguet bleu et deux autres en grosse toile, un gilet (jilait) en demi-panne rouge et deux autres de droguet (2), l’un bleu et l’autre blanc ; deux paires de guêtres en grosse toile ; cinq mauvaises chemises de même étoffe, et un « méchant coffre de bois de chêne fermant à clé. » Ce que je ne puis rendre, c’est l’orthographe ; elle est inénarrable.et constitue une véritable difficulté pour la lecture des textes. Avec la blouse bleue, le gilet rouge, la culotte rayée

(1) La Ferté-Beauharnais et la’ Ferté-Saint-Cyr.(2) Le droguet, d’après Fuiretièra, exception faite pour le droguet d’or, est une espèce de drap de bas prix, moitié fil et moitié laine.

Dans la demi-panne, étoffe plucheuse, la laine est remplacée par de la soie. rouge et blanc, prolongée par une bonne paire de sabots garnis de pailla ; la figure rasée, sous un chapeau de feutre qui rappelle vaguement la forme d’une cloche à melon, d’où émerge parfois la mèche d’un bonnet de coton bleu ou blanc, mais qui ne s’enlève jamais surtout à la maison ; tels nous apparaissent les paysans de Sologne dans leur costume de la fin du XVIIe siècle. Un citoyen commissaire du district, venu pour arrêter le registre, constate qu’il n’existe aucune soumission de la part du citoyen Delmotte, le ci-devant curé. Pourtant nous avons trouvé, sur une feuille détachée, l’attestation, à la date du 10 germinal an 111, que, en présence de tous les citoyens de la commune réunis dans l’église, il avait déclaré son intention «, de porter haine à la royauté et fidèle attention à se conformer aux lois dela république ». Le citoyen Delmotte s’était-il rétracté ? ou bien celte déclaration fut-elle jugée insuffisante. Rien ne nous permet de conclure. Le 15 brumaire de l’an IV, tous les citoyens sont réunis pour la nomination de deux assesseurs du juge de paix. Les nouveaux élus s’étant trouvés incapables de remplir leurs fonctions sont remplacés six mois après par deux autres nommés d’office. Le 15 pluviôse, l’agent national se transporte chez le percepteur de la commune et constate que l’emprunt forcé a produit la somme de 1,750 livres en assignats Le 20 ventôse an V, il remet au secrétaire de l’administration de Chaumont les registres des naissances, mariages et décès de 1740 à 1796 (vieux style) ; il manque une année qui a été égarée. En l’an VI, le 4 vendémiaire, le pauvre citoyen Nicolas Delmotte, ci-devant curé, est encore sur la sellette. Par-devant la municipalité, il prêle « serment de haine à la royauté et à l’anarchie, d’attachement et fidélité à la république et à la constitution de l’an III. » Le 30 veniôse de la même année, conformément à la loi du 13 pluviôse, célébration à l’autel de la patrie et sous l’arbre de la liberté des cérémonies ordonnées pour la fêle de la souveraineté du peuple. Pour abréger, je n’ai pas cru devoir mentionner chaque année l’inscription sur le registre de l’élection « à la pluralité absolue des voix » de l’agent municipal et du procureur de la commune, devenu l’adjoint. La nomination est faite par tous les citoyens assemblés. Suit un tableau détaillé, indiquant le nombre d’hommes (22), leur nom, leur logis, leur profession, (il y a notamment deux tisserands, un fabricant de cercles, un jardinier) ; s’ils sont mariés ou. veufs avec le nombre d’enfants ; ceux qui, sont en état de faire le service personnel, il y en a cinq âgés de 16 à 18 ans. Ce sont tous des domestiques de ferme. Enfin, dans la colonne réservée à l’indication de ceux qui sont « incommodés ou infirmes », se trouve reproduite cinq fois la mention « néant » ; et une note ajoute, non sans besoin, que le mot néant veut dire infirme. »Le 5 nivôse an VIII, il est question pour la première fois du rôle des patentes. Il y a trois patentés : les deux tisserands et le cercleur. Le 22 fructidor, tous les citoyens assemblés élisent :
1° leurs officiers, un capitaine, un lieutenant, un sous-lieutenant;
2° les sous-officiers, un sergent-major et quatre sergents ;
3° huit caporaux. Il reste six hommes de troupe pour seize gradés !…
L’année suivante, le 5 nivôse, le sous-préfet de Romorantin est avisé par lettre « que le clocher et l’église tombent par délabrement ». Il n’y eut point de réponse. Il est à peine besoin de signaler que les mêmes citoyens ont prêté successivement le même serment de fidélité aux différentes constitutions. Je remarquera toutefois que le procès-verbal du 15 pluviôse an IX porte la signature de tous les membres du conseil. De même que la nécessité crée l’organe, de même il y avait eu dans le cours des années précédentes tant de délibérations et de papiers à signer que chacun avait dû se résoudre à pouvoir tracer son nom. La commune n’est pas bien riche ; car le budget des dépenses municipales atteint 29 livres 19 sous pour fourniture d’encre, papier, chandelle, indemnité au porteur de paquets, registres de l’état-civil, et le déficit constaté le 10 ventôse est de dix livres 10 sous. Aussi la municipalité demande-t-elle à pouvoir employer pour l’an X les registres de l’an IX : « Etant très pauvres et ayant peu de population, nous nous en rapportons aux autorités supérieures. » Par la suite, cet argument se retournera contre la commune, quand il s’agira de sa suppression. Puisque les évaluations du revenu des propriétés non bâties sont à l’ordre du jour, il n’est pas sans intérêt de noter les tarifs adoptés le 16 floréal an IX et de les comparer avec les chiffres établis en 1912. Chaque catégorie est rangée en trois classes, et l’estimation faite par septrée, sauf pour les prés qui sont estimés par journée. Pour faciliter la comparaison, j’ai ramené le prix par septrée ou par journée au prix par hectare.

Ce qui frappe dans l’ancien tarif, c’est le chiffre élevé de l’évaluation des étangs. Pourquoi s’en étonner ? Les chemins de fer n’existaient pas, les routes avaient figure de fondrières, la marée était inconnue, et nos régions s’alimentaient forcément en poissons d’eau douce, dont le prix était relativement bien supérieur à celui d’aujourd’hui. Il y a peut-être aussi une autre raison, mais je la donne sous forme dubitative, c’est que les trois seuls hectares d’étang appartenaient à la citoyenne Hurault. Je passe rapidement la nomination de commissaires répartiteurs, institution nouvelle, et du percepteur communal; la publication des trois rôles : foncier, mobilier, des portes et fenêtres ; un état de conscription militaire avec la mention :
néant ; un tableau des chemins (le nombre est restreint, mais le besoin de réparation est urgent) ; un certificat d’échenillage ; les quittances des frais de mairie où apparaît pour la première fois, le 11 vendémiaire an XI, avec les francs et les centimes, le nouveau système monétaire ; la rédaction des tables décennales de l’état-civil ; et j’arrive à la date du 15 pluviôse an XII. Je ne sais quels bruits fâcheux se sont répandus. Le conseil municipal s’émeut. II demande la conservation de la commune et de l’église. Le 21 brumaire an XIII, la réclamation se fait pressante, appuyée des arguments les plus persuasifs : « La municipalité et les habitants ont dit ne vouloir aucunement de réunion, surtout avec la commune de Villeny. Nous formons le vrai centre de cinq communes: la Ferté-Hubert, Saint-Cyr-Semblecy, Villeny,
la Marolle et Dhuizon. C’est pourquoi la raison nous force à réclamer la conservation de notre commune, comme étant de l’intérêt du gouvernement, puisque la route de Paris à Limoges la traverse. Il s’y trouve d’ailleurs une belle place, une superbe vue, qui présente une belle arrivée. » Hélas ! le gouvernement ne comprit pas son intérêt ;le point de vue esthétique ne parvint pas à le séduire, et la requête resta vaine ; car, le 6 floréal an XIII, le maire Bordier signe pour la dernière fois sur le registre municipal. La commune de Bonneville avait terminé sa carrière. En dehors du va-et-vient continuel des commissaires du canton et du district dont l’intervention centralisatrice, tyrannique et tracassière se retrouve presque à chaque feuillet, il ne semble pas que la révolution ait jeté alors un grand trouble dans l’esprit et dans les mœurs de ce petit coin de Sologne. L’éloignement des grands centres, les communications difficiles, sans doute aussi son peu de richesse qui n’excitait point l’envie, ont éloigné de lui les calamités dont il avait souffert jadis à une époque de plus grande prospérité par le passage des Anglais d’abord en 1428, puis par les guerres de religion.

Messieurs, j’en ai terminé avec ces menus détails et ces petits faits. Je les ai crus susceptibles d’apporter leur part de contribution à l’histoire locale d’une région toute proche de l’Orléanais. Voilà pourquoi je les ai retracés, m’excusant d’avoir abusé si longuement d’une attention que vous avez voulu faire très bienveillante.

RAPPORT
Sur le Mémoire de M. R. de la GIRAUDIÈRE

INTITULÉ :

UNE PETITE COMMUNE RURALE DE SOLOGNE PENDANT LA RÉVOLUTION

Par M. H. DENIZET
Membre de la section d’agriculture

La monographie de la commune de Bonneville (Loir-et-Cher) que M. de la Giraudière nous a lue au mois de juin dernier, bien qu’il s’agisse de la plus modeste et de la plus pauvre commune de Sologne, désignée dans les titres et sur les cartes de la contrée, sous le nom de Bonneville-sans-Pain, nous a semblé tout à fait digne d’attirer votre attention. Sans doute notre collègue n’a voulu faire qu’un dépouillement des archives municipales, mais il a apporté dans son travail tant d’ordre et de méthode, il a su l’agrémenter de réflexions si justes et si spirituelles, qu’il serait regrettable de ne pas conserver dans nos publications, l’histoire de cette petite commune pendant la période révolutionnaire.
M. de la Giraudière est le proche voisin de Bonneville, il connaît à fond les faits qu’il rapporte, il a entendu parler des habitants qu’il met en scène, aussi sent-on la commune vivre et se mouvoir dans son récit toujours vif et concis. Rien ne lui échappe, ni la nomination des fonctionnaires municipaux, au nombre de 11 pour 22 électeurs: ; ni l’organisation de la milice et l’élection de 16 gradés pour 6 hommes de troupe ; nous voyons passer devant nous, la prestation de serment du clergé, la recherche des religieuses sécularisées, l’inventaire des objets du culte, le refus de réparation des églises, la confiscation des armes, les réquisitions, la location des presbytères, bien des choses que notre époque devait revoir à son tour. Le travail de notre collègue ne présente pas seulement un intérêt historique, il est également précieux au point de vue agricole, il nous renseigne sur las cultures de l’époque, le rendement des terres, le bétail existant dans la commune, le prix des grains et des denrées, les évaluations des propriétés non bâties ; tous ces renseignements sont utiles à conserver.-Ainsi qu’on nous l’a fait remarquer, Bonneville n’a guère survécu à la Révolution qui l’avait érigée en commune, malgré les protestations de sa population, elle cessa d’exister le 6 floréal an XIII et par une amère décision Bonneville-sans-Pain était réunie à Villeny-le-Pouilleux.
Aujourd’hui les appréhensions d’alors ont disparu, les deux hameaux ne sont pas même en rivalité et leurs qualificatifs n’existent plus.
La Section d’Agriculture a, été d’avis, à l’unanimité, de vous demander d’accueillir dans nos Mémoires l’histoire de la commune de Bonneville pendant la Révolution.

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